Par un arrêt du 22 juin 2017, la Cour de Cassation casse la décision de la Cour d’Appel qui avait retenu une atteinte au droit moral des auteurs et compositeurs Bernanos et Francis Poulenc sur leur œuvre, l’opéra intitulé « le dialogue des carmélites » du fait d’une mise en scène qui en modifiait profondément la scène finale (civ. 1ère, 22 juin 2017, n°15-28467, 16-11759).
Nous avions longuement commenté la décision de la Cour d’Appel qui, à notre sens et au regard des faits de l’espèce, faisait une stricte application des principes en vigueur (CA Paris, pôle 5, ch. 1, 13 oct. 2015, n°14/08900, RLDI décembre 2015, n°3868).
La décision de la première chambre de la Cour de Cassation ne manque pas de surprendre : elle considère dans un premier temps que la Cour d’Appel pas tiré les conséquences de ses propres constatations puisqu’ « elle avait retenu que la mise en scène litigieuse ne modifiait ni les dialogues, absents dans cette partie des œuvres préexistantes, ni la musique, allant même jusqu’à reprendre, avec les chants religieux, le son du couperet de la guillotine qui scande, dans l’opéra de Francis A…, chaque disparition, et que la fin de l’histoire, telle que mise en scène et décrite par M. X…, respectait les thèmes de l’espérance, du martyr, de la grâce et du transfert de la grâce et de la communion des saints, chers aux auteurs de l’œuvre première ».
Or, la Haute Juridiction si elle reprend une partie des constatations de la Cour d’Appel fait totalement abstraction d’une autre, pourtant détaillée. Si les juges du fond avaient en effet écarté l’atteinte au respect des « thèmes de l’espérance, du martyr, de la grâce et de la communion des saints, chers aux auteurs de l’œuvre première » qui, selon les juges, avaient été respectés par le metteur en scène. la Cour d’Appel avait considéré en revanche que l’enfermement des religieuses dans la baraque, « où la présence de bonbonnes de gaz était perceptible dans les scènes précédentes », leur délivrance, les chants entendus sous forme d’enregistrement et non plus chantés, composent un « changement d’action [qui] rend énigmatique, voire incompréhensible, ou encore imperceptible pour le néophyte, le maintien du son du couperet de la guillotine qui apparaît cette fois-ci paradoxalement scander chaque sauvetage ». La cour en concluait que cette mise en scène « modifie profondément la fin de l’histoire telle que voulue par [les auteurs de l’œuvre initiale], qui, indépendamment même du contexte historique, marque l’aboutissement des dialogues qui la précèdent, leur confère un sens (…) et constitue l’apothéose du récit, magnifiée dans l’opéra de Poulenc, où le texte et la musique entrent en accord parfait ».
La Cour de Cassation élude totalement cette deuxième partie des constatations et juge comme si elles n’existaient pas. Cette motivation est donc en soi critiquable. En outre, on ne peut manquer d’estimer qu’elle est teintée d’une appréciation des faits qui ne relève pas de son pouvoir mais de celui, souverain, des juges du fond.
Dans un deuxième temps, la Haute Juridiction considère que la Cour d’Appel, qui avait condamné le metteur en scène et le producteur, à suspendre toute diffusion et commercialisation du vidéogramme de cette version de l’opéra, devait assurer un contrôle de proportionnalité et rechercher un juste équilibre entre la liberté de création du metteur en scène et la protection du droit moral du compositeur et de l’auteur du livret. Une telle application de l’article 10 de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales reviendrait donc désormais à considérer que, dans une certaine mesure, des metteurs en scène pourraient porter atteinte au droit moral d’autres auteurs. Cela ne revient-il pas à vider de sa substance le droit moral dont jouit l’auteur sur son œuvre?