La journée internationale des droits de l’enfant offre l’opportunité de se pencher sur la protection de l’enfant en matière d’infractions sexuelles. L’arsenal juridique dont nous disposons permet-il de suffisamment le protéger? L’environnement dans lequel il évolue lui garantit-il sa sécurité? La récente actualité judiciaire ayant abouti notamment à l’acquittement d’un homme accusé de viol sur une fillette de 11 ans, au motif qu’elle étant consentante, a soulevé l’émotion populaire au point que la Ministre de la Justice et la secrétaire d’Etat à l’égalité homme-femme, Marlène Schiappa, sont intervenues pour proposer de fixer l’âge minimum du consentement sexuel à treize ans, (la limite étant encore à l’étude, selon les dires de la Ministre mais devant se situer entre 13 et 15 ans). Les réactions ne se sont pas fait attendre, et les commentaires ont fusé de toute part, la plupart des commentateurs ayant compris que l’on souhaitait abaisser la majorité sexuelle à 13 ans, seuil inacceptable selon eux.
En réalité, la difficulté ne se situe pas là où on le croit. La portée de cette proposition n’est pas d’aggraver la situation des enfants confrontés à ce type de problématique, il s’agit au contraire d’une disposition louable mais en réalité, loin de répondre à l’enjeu. S’arrêter au principe du consentement / non consentement en ce qui concerne l’enfant est en effet une erreur.
Le viol, l’agression sexuelle et l’atteinte sexuelle sont trois types d’infractions sexuelles pouvant être commises sur des mineurs. L’atteinte sexuelle concerne les actes commis entre un majeur et un enfant de moins de 15 ans qui est consentant. C’est en raison de cette disposition que l’on a élaboré l’expression de «majorité sexuelle» qui se situe à l’âge de 15 ans. La loi a en effet estimé qu’un enfant n’est pas véritablement en mesure de comprendre la portée de ce qu’il fait et le protège jusqu’à ses 15 ans (et même 18 lorsque l’adulte concerné est un ascendant ou une personne ayant autorité sur lui): peu importe qu’il ait donné son consentement, l’acte est punissable. Exit donc toute «idylle» non platonique entre un prof de maths et sa jeune élève sous peine qu’il ait à ruminer ses équations derrière les barreaux et non plus devant le tableau…
Le viol et l’agression sexuelle, en revanche, infractions qui ne sont pas propres aux mineurs (des adultes peuvent en être victimes également), supposent que les actes aient été obtenus par menace, contrainte ou surprise, c’est-à-dire sans le consentement de la victime. Lorsque celle-ci est très jeune, les juges ont considéré qu’en raison de ce trop jeune âge, elle ne peut de toute façon avoir consenti en toute connaissance de cause. Ils ont donc estimé que la preuve de l’absence de consentement était constituée du seul fait du jeune âge de la victime.
Ainsi, lorsque l’enfant n’est pas consentant (en raison des faits de l’espèce ou de son jeune âge), il s’agit de viol ou d’agressions sexuelles. S’il est établi qu’il est consentant, il s’agit de simples atteintes sexuelles dont les peines sont plus légères.
Cela étant, les juges n’ont pas établi d’âge fixe au-delà duquel l’absence de consentement n’est plus établie du seul fait de l’âge et à partir duquel la preuve de la contrainte (résistance, peur…) devient nécessaire. Tout est question d’espèce, en fonction de la personnalité du mineur concerné et des circonstances de fait.
C’est la raison pour laquelle la Ministre a souhaité que le juge soit lié par un seuil d’âge déterminé a priori par la loi qu’elle estime entre 13 et 15 ans. Ainsi, jusqu’à 13 ans, l’enfant serait présumé ne pas être consentant, ce qui conduirait à retenir d’emblée jusqu’à cet âge les qualifications d’agressions sexuelles ou de viol et non pas de simple atteinte sexuelle. L’enjeu est important puisque les peines ne sont pas les mêmes et que la victime se voit reconnaître le fait d’avoir subi une contrainte. Le viol est même un crime jugé par une Cour d’Assises.
Il n’y a donc pas lieu de condamner cette proposition au motif qu’elle abaisserait la «majorité sexuelle». Comme on le constate, ce n’est pas de cela dont il est question. Au contraire, une telle disposition semblerait de prime abord constituer un garde-fou supplémentaire, si ce n’est que l’âge de 13 ans est incohérent et qu’il conviendrait d’aligner la limite à celle des atteintes sexuelles qui est de 15 ans.
En réalité, cette intention n’œuvre pas pour une meilleure protection des enfants. La «présomption» peut être renversée par l’apport de la preuve contraire et un adulte pourra toujours être acquitté du viol commis sur une enfant de 11 ans puisqu’on peut établir l’existence de son consentement et échapper ainsi à la qualification de viol.
On voit bien que maintenir l’enfant dans la sphère du «consentement» ne résout rien. D’autant plus qu’à l’heure actuelle, l’enfant n’est plus aussi «innocent» qu’auparavant. Et ce, «grâce» au travail infatigable des institutions en place: ligne Azur de l’Education Nationale, visas de film autorisés par le Ministère de la Culture, campagnes d’affichage instaurée par le Ministère de la Santé… Les personnalités s’étant insurgées sur l’actualité judiciaire et les déclarations de la Ministre n’ont guère donné de la voix lorsque Titeuf et son exposition «zizi sexuel» a sévi, que le dessin animé «Sausage Party» était offert aux 12 ans et plus, et que les slogans «avec un amant, avec un ami, avec un inconnu» si emprunts de fraîcheur, étaient placés sous le nez des enfants à la sortie de l’école dans toutes les villes de France il y a tout juste un an…
Or, comment continuer à prétendre que l’enfant ne comprend rien, qu’il a été surpris, et qu’il n’était donc pas consentant alors que dans le même temps, il sait exactement de quoi il retourne, évoluant dans la société hypersexualisée qui est la nôtre? S’il n’a pas la maturité nécessaire pour saisir les implications des gestes qu’il pose, il n’en demeure pas moins que, techniquement, il sait de quoi il est question, raison pour laquelle on pourra dire qu’il a «consenti» s’il n’y a pas résisté.
Le seul moyen de le protéger, c’est de dire qu’on ne doit pas y toucher, non pas parce qu’ils ne comprennent pas mais parce qu’ils sont des enfants. Ainsi, assurer la protection, c’est changer la définition du viol en ce qui concerne les mineurs et évacuer la notion de consentement pour faire référence à celle de l’âge.